Quelles formations d’accompagnement à l’orientation pourraient être proposées aux enseignants ?

La psychologie historique et culturelle pose le développement continu comme un processus incessant d’automouvement, dont la source est externe. C’est une sorte de paradoxe : la source est externe car le développement est doublement social. D’une part il renvoie à l’appropriation des outils et des instruments sociaux en patrimoine, dans la culture ; d’autre part, tout apprentissage se déroule dans un rapport social.
Quant au développement, il relève de la dialectique entre l’expérience vécue et ses conditions ouvertes par le milieu. Elles se manifestent par des réorganisations intrapsychiques. Il faut ajouter que la contradiction, au sens dialectique, est le moteur du développement. Le sens accordé par la personne à l’expérience vécue est également fondamental.
La continuité étant ainsi explicitée, il faut préciser ce qu’on entend par « développement professionnel », du côté de la personne : il ne recouvre pas les formations qui offrent des conditions pour ce développement mais qui ne peuvent pas le garantir. Elles se distinguent également des changements objectifs de la carrière. Par exemple : nouveau poste, diplomation, responsabilité, etc. Elles se distinguent aussi de la professionnalisation, qui considère l’appropriation des attendus. Et il n’est pas non plus qu’une succession de stades.
Maintenant que l’approche développementale est posée : que permet-elle d’ouvrir comme pistes de formations des enseignants sur l’orientation ?
Le point clé, c’est de mobiliser les concepts récents sur l’orientation. Il y a eu de grandes évolutions ces dernières années. Faire coconstruire des outils par des équipes d’acteurs de l’orientation, et « acteurs » au sens large puisque dans les établissements il y a beaucoup d’acteurs concernés par l’orientation, et leur faire concevoir ces outils de telle sorte qu’ils soient suffisamment ouverts pour que l’enseignant puisse les mettre à sa main, et puis mettre en patrimoine ces outils, collaborer, former sur ces outils.
L’approche développementale met aussi l’accent sur la construction du sens, et là, on voit que tout le monde est impliqué : les chefs d’établissements qui engagent leurs équipes, tous les jeunes qui sont concernés par les questions d’orientation aujourd’hui, parce que le monde est devenu incertain et volatile, ce ne sont plus seulement les élèves qu’il faut orienter vers des filières particulières. Dans une approche orientante, toutes les disciplines scolaires sont concernées, à minima en liant les savoirs à des usages sociaux. L’aide à apporter aux jeunes dans les lycées professionnels ne doit pas se limiter aux gestes techniques pour renseigner les plateformes (par exemple Parcoursup). La question du sens de l’orientation concerne aussi certains élèves.

Pouvez-vous nous parler de la « Méthode trajectoire » ?

C’est un outil méthodologique qui vise à approcher « l’irréductible singularité du développement » qui s’élabore au fil unique de l’histoire expérientielle des personnes. Elle se veut synthétique, dans le sens qu’elle inclut tous les aspects du développement en un tout. Ainsi concrètement, la personne participant à l’entretien, est invitée à identifier, expliquer des moments, qui selon elle, l’ont amenée à une transformation importante : soit de sa manière d’agir, soit par une compréhension renouvelée de son activité. Pendant les tâches à réaliser pendant la passation, elle réactive l’expérience vécue de différentes manières. Ces moments sont des unités porteuses de toutes sortes d’éléments caractéristiques de ce qui fait le développement, c’est-à-dire : les dimensions cognitives, affectives et sociales et la manière dont elles sont interreliées par la personne.
C’est une méthode aussi qui se veut clinique, dans le sens qu’elle s’intéresse au processus de développement professionnel et non simplement à ses caractéristiques. Elle cherche à faire aussi conscientiser, expliciter comment se déroule le développement.
Pour plus de précisions, se référer à l’article publié par Catherine Loisy en 2021, dans les Nouveaux cahiers de la recherche en éducation et l’article publié dans Recherche qualitative en 2022, qui montre comment l’activité de formalisation de la trajectoire de développement soutient aussi la conceptualisation des transformations et peut ainsi contribuer à des formes de développement.

Une orientation réussie pour vous, qu’est-ce que c’est ?

C’est une question délicate, la question de la réussite. Marc Romainville dit que c’est un concept flou, plus politique que scientifique, marqué d’un déficit d’approche conceptuelle et même opérationnelle.
Alors la réussite de l’orientation n’échappe pas à ces constats. Pour la mesurer, on peut opter pour des critères objectifs, à l’appui de statistiques avec une temporalité variable, à court terme, à très court terme. On regarde juste le nombre d’élèves qui vont où il était prévu qu’ils aillent. À court terme, on regarde ceux qui vont jusqu’au bout du cursus ciblé qu’ils valident. À moyen terme, pour ceux chez qui s’alignent l’orientation, le cursus, l’entrée dans le métier correspondant. Et puis à plus long terme, par le nombre de professionnels qui suivent la voie choisie tout au long de leur carrière, mais on sait qu’aujourd’hui, c’est de plus en plus rare.
Ces critères objectifs, cependant, semblent loin de rendre compte de la réalité de l’orientation, qui est articulée à l’expérience vécue du jeune. Le travail sur l’orientation donne du sens et peut contribuer à percevoir l’orientation comme réussie.
Mais la tâche reste quand même difficile pour les élèves en difficulté scolaire.
Faire travailler en même temps connaissance de soi, des métiers et des formations permet de faire articuler projets personnels et professionnels ; il y a encore du chemin.
Les recherches les plus récentes sur l’orientation, en particulier celles qu’on a menées avec Émilie Carosin et Damien Canzittu dans une équipe belge, montre que cette articulation du professionnel et du personnel, c’est un élément-clé de la réussite de l’orientation. Or, c’est souvent au moment où il entre dans le travail que le jeune mesure si cela correspond à la manière dont il entend contribuer à la société. Donc, jusque-là, parfois on croit que c’est réussi et cela ne l’est pas. De plus, le système scolaire porte des paradoxes : la tension entre l’injonction à construire un projet d’orientation et les possibilités réellement offertes aux élèves, en particulier de milieux socialement défavorisés, qui contribue à développer le sentiment de non-réussite de l’orientation, voire de non-orientation. Et puis les étapes institutionnelles supposent une certaine uniformité dans le développement de la compétence à s’orienter. Or, si la maturité par rapport à l’orientation arrive tardivement, il ne faut pas voir un changement de projet comme un échec. Les changements de voie ne sont pas toujours possibles : certaines filières professionnalisantes sélectives se ferment après les étapes institutionnelles. Donc, c’est difficile de dire quand une orientation est réussie.