Transcription
Je m’appelle Emma, j’ai 14 ans et j’habite à Ivry sur Seine juste à côté de Paris. J’habite avec mon beau-père, ma mère, ma sœur jumelle et mon grand frère. Ma mère est prof de théâtre et scénariste, mon beau-père, scénariste et réalisateur et mon père, réalisateur et metteur en scène. Je suis en 3ème au collège Evariste Galois dans le 13ème arrondissement de Paris. Depuis que je suis en CE1, je fais de la magie. Du coup, je voulais en faire mon métier pendant très longtemps. Au début, je me suis dit que la magie était certainement faite pour moi parce que je suis dans une famille où il y a beaucoup de spectacles, où on est très poussé, très encouragé. Puis après, vers le CM1, j’ai commencé à me documenter sur les métiers du droit et ça m’a beaucoup intéressé. Il n’y a pas beaucoup de rapport entre la magie et le droit. Je regardais des séries avec des procès et je me suis rendu-compte que ça m’intéressait énormément. Même de regarder l’émission « Faites-entrer l’accusé » en cachette. Je me suis dit que j’aimerai peut-être bien en faire mon métier. Plus tard, je voudrais être avocate spécialisée en assise, c’est-à-dire avocate pour des crimes, des meurtres, des viols, des choses un peu horribles. Bien sûr, j’appréhende un peu de devoir défendre des personnes qui ont violé ou tué des gens. Mais, ça m’intéresse vraiment et je trouve intéressant au niveau humain de comprendre comment est-ce qu’on peut arriver à faire des choses horribles comme ça. Ce qui me motive dans le métier d’avocat, c’est l’idée que tout le monde devrait, même si c’est quelqu’un d’horrible, avoir le droit d’être défendu par quelqu’un et de voir à partir de quel moment la personne est dangereuse. Une personne qui a commis un crime passionnel, par exemple, peut-être qu’elle n’est pas dangereuse pour la société. A partir du moment où elle n’est pas dangereuse pour la société, peut-être qu’il y a d’autres moyens de purger des peines que de faire de la prison. Si je rencontre un avocat pénaliste, j’aimerai lui demander une chose très importante pour moi, c’est de savoir si on peut avoir une vie de famille à côté du métier d’avocat. Ça me fait assez peur parce que j’aimerai vraiment avoir une vie de famille. Je pense que c’est la seule chose qui pourrait me faire poser des questions sur le fait que ce soit vraiment le métier qui est fait pour moi ou pas. Je voudrai aussi savoir s’il est possible de faire uniquement du pénal, de s’occuper de crimes ou alors pour avoir assez d’argent pour vivre, on a besoin de faire à côté des choses plus administratives, tels que des divorces. Je suis dans un collège avec beaucoup de mixité sociale et c’est vraiment un milieu dans lequel je baigne depuis que je suis toute petite. Je me demande si dans les facs, pour devenir avocat, ce n’est pas un milieu plus privilégié, à qui le métier est peut-être plus ouvert, ça me changerait pas mal, j’aimerai bien savoir à quoi m’attendre par rapport à ça. Je suis assez impatiente d’arriver au moment où je pourrai être avocate parce que je serai plus libre et je suis une personne qui a vraiment besoin de liberté. Je suis vraiment impatiente de rentrer dans le monde du travail.
AURELIE (mère d’Emma)
Emma a une sœur jumelle, une fausse jumelle, donc elle s’est construite avec cette sœur qui n’est pas une sœur miroir, il y a quand même un lien particulier et avec un frère qui a un an et demi de plus. C’est vraiment une fratrie donc il a fallu trouver sa place au sein de ce petit groupe d’enfants. Le premier métier que voulait exercer Emma, c’était magicienne. Elle fait de la magie depuis l’enfance, on trouvait ça formidable. Finalement, elle s’est tournée vers quelque chose qui lui a semblé plus réaliste et en même temps l’expérience de la magie et du spectacle l’a aidé aussi dans son choix je pense parce que avocat, il y a toute une partie où il faut être à l’aise devant des gens, être capable de parler, d’argumenter. C’est la seule ado que je connaisse qui regarde la chaîne parlementaire, c’est un métier qui lui conviendrait et qui lui conviendra parfaitement. Se retrouver aux assises avec effectivement des histoires absolument sordides, j’imagine qu’elle s’en sortira très bien mais ça aura fatalement un impact sur elle. Je pense qu’un suivi psychologique, je sais qu’il y a beaucoup d’avocats d’assises qui ont un suivi psychologique qui permet d’évacuer les émotions diverses, contraires et douloureuses.
FLORENCE PINI (Professeur d’espagnol)
Elle aimerait bien être dans le droit. Elle voudrait être avocate, pénaliste plus précisément. Je la vois tout à fait dans ce milieu-là d’ailleurs. Je pense que ça lui correspondrait vraiment et je pense que si elle est décidée à le faire, elle y arrivera parce qu’elle est assez pugnace. Quand elle veut quelque chose, elle se donne les moyens pour y arriver. Elle est tellement curieuse de nature. Elle cherche avant tout à comprendre avant de juger. C’est quelqu’un qui aime aller à la source pour comprendre les choses. Ça se sent, à l’oral, elle est très à l’aise. Elle aime les mots, Emma, elle s’exprime avec facilité et je pense qu’elle sait dire ce qu’elle pense et ce qu’elle veut. Elle n’a pas de problème à s’exprimer en toute circonstance. Avant de rentrer dans le monde du travail, je pense qu’elle devra avoir plus de rigueur, c’est-à-dire qu’elle peut en avoir de la rigueur mais il y a des passages où elle va se laisser un peu aller donc être un peu plus exigeante avec elle-même tout le temps. Je la pousserai à faire du droit international, bien sûr. Parce que je vous assure, en anglais je ne sais pas, mais en espagnol, elle peut aller très loin. Elle a déjà un niveau qui est excellent, qui est bien supérieur à tous les élèves de 3ème que je peux avoir, sincèrement.
MAITRE COTTA (Avocate pénaliste)
On va aller à la Cour d’Assises. On va se présenter au Président. On va s’installer et après on avise. Aujourd’hui, tu vas rester dans la cour d’assises avec moi et ensuite, en début d’après-midi, tu iras peut-être voir une autre affaire qui va être plaidée à la Cour d’Appel. Et puis après, on va se voir toutes les deux, tu me poseras toutes les questions que tu veux. J’essaierai de te convaincre qu’il faut être avocat. Il n’y a pas besoin de me convaincre. C’est bien. Si tu veux le procès, c’est un équilibre. A un moment donné, on dit, alors après je ne sais pas si c’est bien ou pas, c’est un autre problème. On dit que la société doit apporter une réponse à des actes qui ne sont pas admis socialement. Il y a la personne qui est accusée qui est défendue par son avocat. Il y a celui qui dit qu’il est victime, des fois il l’est, des fois il ne l’est pas donc moi je dis toujours qui dit qu’il est victime, qui a aussi son avocat et puis il y a l’avocat général. L’avocat général, c’est celui qui représente la société dans son entier.
Ce matin, je suis allée voir un procès d’Assises, donc le début d’un procès. C’était très intéressant parce que normalement ça devait se faire à huis clos. J’ai pu rester dans la salle quand même. C’est une histoire un peu glauque, c’était quand même un peu dur pour cette raison. Il fallait prendre un peu de recul mais c’était très intéressant.
Ça t’a plu ? C’était très intéressant. Tu vois la question, c’est que ce mec, tu as vu comme il était rigide au début, il n’exprimait rien donc il fallait le faire craquer à un moment donné. C’est pour ça que vous avez posé la question ? Oui bien sûr, et tu as vu que c’est là qu’il s’est mis à pleurer et qu’il est apparu vulnérable. Il est devenu humain. Exactement.
Je voulais juste vous demander, quelle est la réelle différence entre une affaire qui passe en Assises et une affaire qui passe en correctionnel ? C’est une bonne question. Il y a plusieurs genres de fait. Il y a certains faits, ce sont des contraventions, ça va au tribunal de police. Après dans l’échelle de gravité, il y a les délits, ils passent au tribunal correctionnel. Et puis, il y a les crimes. Les crimes contre les personnes, les crimes sexuels, les meurtres, tous les crimes, le braquage de banque, passent à la Cour d’Assises. C’est une question d’échelle de gravité des faits et de peine encourue. Parce que plus les faits sont graves, plus tu encoures une peine importante. Ce qui compte dans la vie, c’est d’avoir ta conception du monde, c’est-à-dire qu’il faut que tu saches pourquoi tu veux défendre, pourquoi tu choisis la défense, tu pourrais choisir l’accusation. Je considère personnellement que là où je suis en défense, j’ai toujours le même discours. Je pourrai défendre une partie civile ou être avocat général, je pense quelque chose des choses et donc c’est ça que j’imprime dans ma défense. Il faut toujours défendre et plaider en fonction de ce que tu penses. Jamais pour faire plaisir, jamais pour céder à la pensée dominante, jamais pour être dans l’ordre des choses. Etre toujours fidèle à toi-même. Si tu es fidèle à toi-même, tu n’auras aucun problème.
Est-ce que vous pouvez choisir les personnes que vous défendez ? Bien sûr, à vrai dire c’est eux qui te choisissent. Tu ne fais pas de démarchage. Est-ce que vous pouvez en refuser ? Tu peux refuser qui tu veux. Quand on commence à être avocate, on a l’obligation d’être commis d’office ? C’est très important d’être commis d’office. Je continue à avoir des commissions d’office au bout de 30 ans. La commission d’office est vraiment notre honneur. La commission d’office, tu sais, on s’est battu à un moment donné parce qu’on voulait justement la supprimer. La commission d’office, c’est le droit pour chacun, qu’il ait les moyens ou qu’il n’ait pas les moyens de choisir l’avocat de son choix. C’est-à-dire que tout le monde a le droit, s’il décide que c’est moi qui vais le défendre, il a le droit d’être défendu par moi. La seule chose, s’il n’a pas l’argent pour me payer, ce sera l’Etat qui paie. C’est très important, c’est le libre choix de l’avocat. La question que je me pose beaucoup et peut-être le seul point qui me ferait hésiter sur le métier d’avocat, c’est sur la vie à côté, sur la vie privée, sur le fait de pouvoir avoir des enfants. Est-ce-que c’est possible ou est-ce-que ce n’est pas possible ? Je pense que tout est possible. Après ça dépend du degré d’investissement que tu veux et puis ça dépend de ce que tu es toi. Tu as des femmes, moi j’en fais partie, qui ont préféré à un moment donné vivre complètement une chose, je ne voulais pas d’enfant. Ça ne m’a jamais tellement intéressé. Donc c’est un choix mais j’aurai pu en avoir. Rien n’est incompatible, c’est une question d’organisation surtout.
Est-ce qu’on peut faire uniquement du pénal quand on est avocat ? Ecoute, plus on avance, plus notre société se dégrade. Plus, malheureusement, les gens ont besoin d’être défendus. Mais spécialises toi en matière pénale et ne crois pas ceux qui te disent qu’il n’y a pas de place parce que moi c’est ce qu’on m’a dit il y a 30 ans. On m’a dit les femmes ce n’est pas fait pour et le pénal s’est terminé. Tu vois, ils se sont trompés et ils se tromperont pour toi aussi. Va où tu veux, fais ce que tu as envie de faire et fais le bien, c’est tout ce que je peux te dire. Ne sois pas complexée, tu rencontreras des avocats jeunes, de ton âge, qui viennent éventuellement de très beaux quartiers, qui ont des familles qui ont énormément de moyens. De toute façon, ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est de faire les choses auxquelles on croit. Si tu fais ce à quoi tu crois, tu arriveras aussi bien que les autres, ne serait-ce que mieux peut-être. Accroche-toi Emma, ça vaut le coup.
J’ai pu aller voir un procès en Assises, ça m’a appris beaucoup de choses sur la réalité du métier et ça m’a conforté dans l’idée que je veux être avocate pénaliste plus tard. J’ai vu que c’était très speed comme métier, on était un peu toujours à courir à droite à gauche. On n’a pas vraiment d’horaires fixes, donc ça ne me dérange pas. Je pensais que c’était plus calme. Françoise Cotta m’a dit que c’était possible d’avoir des enfants quand on fait ce métier, donc moi j’ai toujours envie d’avoir des enfants mais peut-être un peu plus tard.