Matali Crasset, merci d'être avec nous. On vous a surnommé, je ne sais pas si ça vous amuse, la Jeanne d'Arc du design. En tout cas, ça dit que vous êtes connue dans le monde entier. Vous avez travaillé pour des marques aussi célèbres que Seb, Ikéa, je ne peux pas toutes les citer. Vous avez également travaillé et vous continuez, pour des éditeurs d'objets. Vous vous êtes frottée à la scénographie, au graphisme, à l'architecture, à des projets d'innovation sociale, aujourd'hui.
Sur les années lycée, j'ai lu que vous disiez dans un entretien, le lycée, ce n'est pas un endroit où je me suis épanouie, j'étais moyenne dans toutes les matières.

J'étais élève moyenne, en effet, j'aimais l'école, je n'étais pas du tout, je ne suis pas contre. Mais en même temps, j'ai découvert qu'on pouvait être à l'école et s'épanouir beaucoup plus, puisque c'est ce que j'ai connu avec l'ENSCI, l’École nationale supérieure de création industrielle, surnommée les ateliers. Et je me dis, mais pourquoi toutes les écoles ne sont pas comme ça ? Pourquoi on n'est pas en compétition ? Pourquoi on n'avait pas de note à l'ENSCI ? Pourquoi mettre les gens en compétition ? On est tous des créateurs et c'est très juste, en fait, on est tous là pour apporter quelque chose. Pourquoi se mettre en compétition, déjà à l'école ? C'est violent !
Je décide d'aller faire un stage à Berlin alors que je n'avais même pas pris l'option allemand, mais j'ai entendu dire qu'un groupe d'élèves allait à Berlin, et à l'époque, il y avait une scène underground très très forte à Berlin, notamment un design très particulier, et je commençais à m'intéresser au design et à l'art, je n'avais pas beaucoup de gens autour de moi qui s'y intéressait et d'un seul coup, je me suis dit plutôt que de faire un stage, en fait qui ne m'intéresse pas, j'ai envie au moins de le faire, à l'époque, il n'y avait pas encore Erasmus où on pouvait partir six mois etc. Et donc voilà, je l'ai fait à Berlin et c'est là que j'ai rencontré en plus Francis qui est en fait mon mari, qui est mon partenaire dans le travail aussi aujourd'hui et qui m'a aussi donné la possibilité, la confiance en moi pour me dire, voilà fais autre chose, suis ta voie, essaye de devenir créateur puisque c'est ce qu'on a vu aussi à Berlin, on est allés rencontrer pas mal de designers, d'artistes. J'ai beaucoup expérimenté parce que c'est un peu la règle dans une école de design de faire des projets, donc on apprend à travers le projet d'expérimenter. Et je me suis dit, mais les gens qui vont regarder mon portfolio ils vont rien comprendre parce qu'un coup j'utilise ça, un coup je... et en fait mon diplôme a été vraiment orienté sur l'idée de dire il faut que ça parle de ce que je vais faire après et ça, je me suis fait force en fait pour faire ça et je suis très contente de ça parce que ça m'a nourrie et ça me nourrit encore.

Juste un tout petit mot, si c'est possible, de résumer ce que c'est que d'être designer.
Je vais juste simplifier en disant qu'il y a trois savoir faire essentiels, un, avoir un sens critique. La deuxième étape, c'est de savoir se projeter, alors ça, c'est quelque chose de particulier, avec de la créativité, c'est à dire qu'on ne se contente pas de faire un état des lieux, mais on arrive à se projeter en utilisant des méthodologies, etc. Et le troisième savoir faire, c'est le sens pragmatique. Arriver à faire les choses parce qu'on connaît les méthodes de transformation des matières... c'est arriver à matérialiser les choses.