Transcription
Grâce à l'Onisep, les élèves du lycée des Bruyères, à Sotteville-lès-Rouen, nous ont envoyé des questions. On va tâcher d'y répondre. La première est celle de Matéo.
Comment s'approprier les mots d'un auteur, les mots qui ne sont pas les vôtres, pour que cela devienne naturel dans l'expression orale ?
Une question pour Philippe.
En vivant avec. Quand je dis vivre avec, on peut laisser sa brochure le soir quand on se couche, mais de passer beaucoup de temps avec, à essayer de se la dire. Je pense qu'il n'y a pas un langage d'un auteur… On peut avoir une rencontre, comme ça, avec une facilité tout d'un coup d'expression et une appropriation intuitive d'un auteur, mais c'est rare. Le plus souvent, il y a un travail, parce que ce n'est pas la même langue, ce n'est pas la même façon de mettre les mots sur le papier. L'intimité de l'auteur ne va pas se révéler à vous, comme vous l'auriez fait vous, si vous aviez pu écrire. Il faut passer du temps, et c'est à force de passer du temps à se la dire, la redire, la dire à quelqu'un, arrêter des gens, dire : "Je te dis une phrase, et dis-moi si tu comprends." Et si la personne ne comprend pas, c'est de votre faute, ce n'est pas de sa faute. Je dis toujours ça. Il faut la retravailler, la retravailler jusqu'à ce qu'un jour, ça s'éclaire et on sait comment la dire. C'est du temps passé, je crois, plus que tout autre chose.
Une autre question de Théo.
S'exprimer à l'oral, est-ce se mettre en scène ou se mettre à nu ?
C'est d'évacuer de son esprit la nudité et la mise en scène, c'est de se mettre au service d'une cause à défendre. On n'est jamais plus fort, on n'est jamais plus courageux quand on le fait pour quelqu'un d'autre. Ce que vous avez à dire devant les autres, il y a une thématique à défendre.
Ce qui est super dur, c'est que là, il faut que ces jeunes le disent pour eux-mêmes.
Oui.
Mais ils ne disent pas n'importe quoi, ils ne disent pas des mots, comme ça, dans l'absolu. Ces mots ont un sens. C'est prendre ce sens-là, et le faire comme si c'était une mission impérieuse de le faire comprendre. Et là, on devient balèze. Là, on a moins peur. Quand on est au service d'une cause, on a moins peur, quand on est au service de soi-même, c'est là qu'on a les genoux qui tremblent, etc. Ce n'est pas soi-même qui est important. Il faut être une cheville ouvrière d'un truc qui nous dépasse, et on est au service de ça. J'ai su vivre avec le trac grâce à ça.
Ce n'est pas vous, c'est la cause ?
Voilà. Au début, on a peur, parce qu'on ne pense qu'à soi, et c'est normal.
Se mettre en retrait, finalement. Pour terminer, une dernière question de Lizéa.
On nous demande souvent de parler fort. Pour vous, est-ce forcément synonyme de prestance et d'assurance ?
Parler fort, est-ce signe de prestance ou d'assurance ?
Ça peut être très artificiel. Ce n'est pas important de parler fort ou de parler pas fort. Il faut parler en fonction des gens qu'on a en face de soi. Mais là encore, par exemple, si ce métier d'interprète, on va dire, était très technique à ce point-là, je pense que Louis Armstrong n'aurait jamais chanté, par exemple, avec ses polypes dans la voix, etc. Je pense que Françoise Hardy non plus n'aurait jamais chanté, avec cette petite voix qui sort, comme ça. Et pourtant, ça a charmé le monde. Peu importe, qu'on ait une voix blanche, pas blanche, bien en place, bien ancrée, ou un peu fébrile, avec des petits trémolos, parce qu'on a le trac. Si tout d'un coup, on est en adéquation avec ce qu'on dit, on va écouter. On écoute la personne qui vous parle. Voilà. Et sinon, le danger, c'est de devenir un petit singe savant qui saura bien exécuter tout comme on lui a dit, et on s'en fout.
Il faut y croire.